La lettre du 16 septembre

Le 21 septembre 2022, à peine trois semaines après la rentrée scolaire, René Chiche a accusé réception d’une lettre datée du 16 septembre l’informant qu’une procédure disciplinaire était engagée contre lui en raison de « propos inappropriés vis-à-vis de personnalités publiques, de la politique sanitaire français et du conflit opposant la Russie à l’Ukraine sur le réseau social Twitter ».

Ce document édifiant égrène des citations de René Chiche prélevées sur des captures d’écran à l’origine douteuse effectuées entre le 5 janvier 2022 et le 8 mars 2022. Ces captures d’écran figurent dans le dossier administratif du professeur sans être accompagnée de la moindre garantie concernant leur authenticité. Ces 130 reproductions de captures d’écran de mauvaise qualité, dont la partie gauche a été coupée afin de ne pas permettre l’identification de la personne qui les a effectuées, ressemblent toutes à celle-ci :

Une procédure disciplinaire a donc été engagée contre un professeur de philosophie irréprochable dans l’exercice de ses fonctions sur la base de documents qui n’ont donné lieu à aucune enquête administrative. 

Dans sa déclaration devant le conseil de discipline, René Chiche a confessé ne pas avoir pu lire cette lettre d’une seule traite tant elle abuse d’un procédé contre lequel il est lui-même chargé par la République de mettre en garde les élèves qui lui sont confiés : ce procédé malhonnête qui consiste à extraire d’un ensemble des propos, à les isoler de leur contexte et à les disposer dans un autre ordre que celui dans lequel ils ont été tenus.

J’ai reçu cette lettre le 21 septembre, voici donc bientôt trois mois, un mercredi précisément, juste après les quatre heures de cours de philosophie que je venais de donner au lycée Lumière. Et je dois avouer que je ne suis parvenu à son terme que le jour suivant tant elle me tombait des mains pour ainsi dire à chaque phrase. En la lisant, je me suis demandé de qui l’on parlait et quel était ce fou furieux du nom de René Chiche. Mais en vérité il s’en faut de beaucoup que vous me fassiez oublier qui je suis, surtout en usant de procédés aussi grossiers que ceux qui consistent à prélever de façon arbitraire une vingtaine de propos que j’aurais tenus sur Twitter parmi les quelques 18 000 que j’y ai publiés depuis que j’y suis inscrit, à les citer sans ordre et parfois sans vraisemblance, en faisant abstraction du contexte, de ce qui suit comme de ce qui précède ainsi que de la personnalité et du style de leur auteur, toutes choses entre autres que l’on apprend précisément à ne pas faire à nos élèves quand on cherche à les instruire un tant soit peu et à leur inculquer les bases de la pensée rigoureuse et de l’honnêteté intellectuelle ! Par un tel procédé, on pourrait faire passer n’importe quel chef d’œuvre de la littérature pour le journal d’un aliéné. Par un tel procédé, on pourrait faire passer un homme de science ou un président de la République pour un idiot ou une crapule. « Je traverse la rue et je vous en trouve, un emploi ! » ; « on met un pognon de dingues dans les minima sociaux et les gens restent pauvre ! » ; « certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d'aller regarder s'ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas » ; « une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » ; « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » ; « les non-vaccinés, j’ai bien envie de les emmerder » ; « on les aura ces connards » : ce sont là des propos tenus par l’actuel président de la République et dont il serait particulièrement malhonnête d’en déduire quoi que ce soit sur leur auteur ni de prétendre que celui-ci porte atteinte à la fonction tant l’usage d’un tel verbatim à cette fin serait contraire aux exigences les plus élémentaires de la critique aussi bien qu’à l’éthique de la discussion. J’ajoute qu’user d’un tel procédé lorsqu’on fait partie de l’éducation nationale, et ce quels que soient le rang et la fonction qu’on y occupe, est particulièrement inconvenant, tout comme n’est pas digne et n’est pas non plus très sérieux le fait de s’en servir contre un professeur dont le métier consiste précisément à former le jugement et l’esprit critique des élèves qu’on lui confie afin qu’ils ne se laissent pas influencer par les premiers charlatans venus.

René Chiche

Quand bien même ces propos auraient été tenus par René Chiche, ils n’ont rien d’illégaux ni d’inconvenants. Du moins n’est-ce pas à l’autorité administrative de se substituer à l’autorité judiciaire pour apprécier leur conformité ou non à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Prétendre que l’auteur de ces propos a fait preuve d’un manquement à ses obligations professionnelles et a porté atteinte à l’image et à la réputation du service public de l’enseignement est totalement dépourvu de fondement. Qu’une procédure disciplinaire ait été engagée dans ces conditions, pour ne rien dire de la sanction très lourde qui a été infligée à René Chiche, démontre que l’administration a perdu ses repères républicains. Elle sera recadrée par le tribunal : le délit d’opinion n’existe pas en France.

Lettre du 16 septembre 2022 annonçant à René Chiche l'engagement d'une procédure disciplinaire