Sur l’antisémitisme à l’école

  • Home
  • Sur l’antisémitisme à l’école
🖊️ Adresse à mes collègues sur la montée et la banalisation de l’antisémitisme dans les écoles
 
L’agression et le viol d’une jeune fille de Courbevoie âgée de 12 ans qui avait dû cacher à ses « camarades » le fait qu’elle était juive pour ne pas subir leurs moqueries et insultes devrait interpeller tous les enseignants de ce pays sur ce qui se passe dans nos établissements et que nous laissons faire, bien davantage que les résultats d’élections législatives qui, en donnant la parole aux Français, ne constituent ni un scandale ni une menace pour la République.
 
Dans un entretien publié par Le Parisien ce 25 juin 2024, la mère de cette jeune fille de Courbevoie, répondant à la question du journaliste portant sur les circonstances dans lesquelles sa fille avait indiqué qu’elle n’était pas juive, répond ceci :
« Après le 7 octobre, notre fille a subi un harcèlement dans son collège et une mise à l’écart du fait de sa religion. Cela a commencé dans le courant du mois de novembre par des saluts nazis, des croix gammées sur les tables à l’école ou des blagues sur la Shoah. Elle a perdu plusieurs camarades musulmanes de cette façon, sans que cela ne débouche sur des violences physiques. Dans ce contexte déjà très tendu, nous lui avions conseillé de rester prudente sur les questions liées à la religion. C’est pour ces raisons qu’elle a dû laisser entendre à F. quelques semaines avant les faits qu’elle était musulmane. »
 
Tout le monde a été ému par l’agression et le viol subis par une jeune fille parce que juive, mais le calvaire qu’elle endurait avait commencé dès le mois de novembre et se poursuivait dans l’indifférence et l’ignorance. Or c’est là que se situe le premier scandale. Comment a-t-il été possible qu’une jeune fille juive soit persécutée comme telle au sein même de l’école de la République sans que personne ne le sache ou n’intervienne ?
 
L’auteur de ces lignes déteste autant l’antisémitisme que son instrumentalisation. Il ne sert à rien de s’envoyer l’accusation d’antisémite à la figure, qui participe d’ailleurs à sa banalisation aussi. Il s’agit d’abord de percevoir et d’ouvrir les yeux sur la réalité.
 
Dans un article publié par Le Monde le 29 mai de cette même année, et intitulé « A l’école, l’antisémitisme et le racisme s’expriment de plus en plus tôt : « Il n’y a plus de tabous », on apprend que les témoignages d’insultes antisémites sont de plus en plus nombreux. Mais quoi ? Faut-il être journaliste pour savoir ce qui se passe à l’école ?
 
« Un petit garçon de CE2 qui ramasse quelque chose par terre et s’exclame : « Tenez, c’est un morceau du prépuce de Samuel. »
Un autre qui commente la réflexion d’un camarade : « Il est juif, les juifs sont bêtes. » « Les juifs sont sales », « Vous allez brûler en enfer », « On va faire comme Hitler », « On va t’envoyer prendre une douche », « Ne cours pas, t’as les poches trop lourdes » (sous-entendu pleines d’argent), « Assassins »…
[…] Nathan a lui aussi subi mauvaises blagues, insultes et ricanements. « Ça gaze ? », « Quelle est la différence entre un juif et une pizza ? Le temps de cuisson ! », « Il a un beau manteau ! C’est normal, il est juif, il est riche »…
Et les journalistes de poursuivre : « Pendant l’année scolaire 2022-2023, sous l’impulsion de quatre meneurs, l’élève de 4e n’a pas eu un jour de répit, sans que la direction du collège, un établissement privé d’excellence de l’Ouest parisien, réagisse. « L’ambiance dans la classe n’était globalement pas bienveillante et assez raciste », raconte sa mère, qui a vu l’état psychique de son fils « se dégrader semaine après semaine. Il pleurait, avait mal au ventre, ne voulait plus aller en classe, tandis que les quatre harceleurs ont simplement eu une heure de colle ». Nathan a quitté l’établissement pour rejoindre une école juive.»
 
Ces témoignages ne sont qu’un échantillon de ce qui se passe réellement, dans des proportions variables selon les établissements, aussi bien des établissements publics que des établissements privés comme on vient de le lire.
 
Ceci est le réel. Ce n’est pas un fantasme.
 
Nul ne peut ignorer cette banalisation de l’antisémitisme autant que la perte de repères qui affecte une partie de la jeunesse et dont elle n’est sans doute pas le seul symptôme. L’importation du conflit entre Israël et le Hamas ainsi que l’exploitation outrancière du drame que subissent les habitants de Gaza par certains partis politiques et certaines organisations syndicales n’est qu’un des facteurs expliquant cette montée et cette banalisation de l’antisémitisme. L’influence catastrophique des écrans et des réseaux asociaux sur la capacité de discernement et de jugement en est un autre, car l’antisémitisme comme le racisme est avant tout un dérèglement de l’intelligence et de l’affectivité . La dégradation générale du climat scolaire et du niveau scolaire joue également un rôle, l’école n’étant plus regardée comme une institution par ceux qui la fréquentent, mais comme un lieu comme un autre, où l’on vous signifie de « venir comme vous êtes ».
 
Il est temps de se réveiller.
 
Tandis que certains collègues rêvent les yeux ouverts, se croient en 1934, entendent déjà le bruit des bottes et se préparent à l’apocalypse en lançant des appels à la désobéissance tels des Jean Moulin en charentaises, j’aimerais que les enseignants responsables et avisés, qui sont la majorité, ouvrent les yeux sur ce qui se passe réellement, ici et maintenant.
 
Et je forme le vœu en m’adressant présentement à eux que chacun, du professeur des écoles à celui d’université, des AESH aux personnels de direction et aux inspecteurs, fasse preuve de vigilance et endosse avez zèle le rôle de gardien de la Cité selon l’expression de Platon. Je forme également le vœu qu’au lieu de combattre contre les moulins à vents et de peindre des Furies pour se faire peur, chacun, à l’Éducation nationale, fasse tout ce qui est en son pouvoir pour traquer et anéantir pour de bon la bête immonde que nous sommes en train de laisser prospérer dans nos écoles en regardant ailleurs.
 
Je n’aurais jamais cru devoir écrire ces lignes un jour. Il le faut pourtant, hélas !
 
25 juin 2024
René Chiche
Professeur de philosophie